Ces petits façonniers français ... suite
Façonniers du luxe, un secteur à l'agonie
Un secteur en péril. Les PME françaises de la haute façon - qui
cousent et réalisent les vêtements pour les maisons de couture - voient
leur carnet de commandes chuter. Leurs clients partant à l'étranger,
elles licencient à tour de bras. Disparaissent aussi.
Christian Estrosi, le ministre de l'industrie, a récemment convié des
acteurs du luxe et de la mode française pour "refonder" leurs relations
avec leurs sous-traitants. Il promet, pour la fin janvier 2010, une
charte de bonne conduite entre les grandes griffes françaises et ces
entreprises qui garantissent un label "made in France". Grande
première, les patrons de Dior, Hermès, LVMH, Chanel, Lanvin,
Balenciaga, Jean Paul Gaultier, Céline, Sonia Rykiel, Lefranc Ferrand
ou Agnès b s'en alarment et pourraient s'engager sur un minimum de
commandes.
La façon ne représente plus que 250 petites et moyennes
entreprise (PME) de plus de 20 salariés, dont la moitié travaille pour
le luxe. Selon Clarisse Reille, chargée de mission à Bercy, ce
microsecteur représente 6 000 emplois, essentiellement dans les pays de
la Loire. Elle met en lumière, dans un rapport sur ce secteur, "la
forte asymétrie" entre les donneurs d'ordre (les griffes, les marques)
et la façon : là où la profitabilité des premiers s'élève à 23,8 %,
celle des petites mains tombe à 4,4 %.
Par ailleurs, le coût de la façon ne représente que 5 % à 7,5 % du prix
de vente final du vêtement. "L'argument selon lequel le coût des
façonniers français serait trop élevé et constituerait un problème
sérieux aux donneurs d'ordre s'avère largement exagéré", affirme celle
qui est aussi chargée de favoriser l'émergence de ce code de bonne
conduite.
Sur le terrain, ces PME constatent une baisse des ventes, un recours
massif des donneurs d'ordre à la délocalisation. "Les carnets de
commande ont chuté de 30 % à 60 % depuis septembre 2008, pendant que
les emplois ont fondu de 15 % à 20 %", souligne Laurent Vandenbor,
délégué général de Ouest Mode Industrie, qui représente une centaine
d'industriels.
"Dans le textile, les délocalisations datent des années 1970, affirme
Jean-Pierre Chanteclair, président d'une société du même nom à Troyes.
Depuis 2000, on perd presque chaque année notre premier client." Sonia
Rykiel, elle, a déjà stoppé ses commandes de tee-shirts qu'elle fait
fabriquer au Portugal. Le gouvernement aide certes "les entreprises
innovantes. Mais je n'ai pas l'intention d'habiller les gens qui vont
sur la Lune", dit-il.
Le mal est plus profond aux yeux de Daniel Juvin, président de Grandis,
dans la Manche : "L'industrie de la main-d'œuvre a été sacrifiée sur
l'autel des délocalisations. Il est grand temps de répartir
différemment la valeur des choses. Aujourd'hui, le produit ne vaut plus
rien : si l'on regarde une multinationale comme Nike, 33 % du prix du
produit provient de la recherche et du développement, du marketing et
de la communication, qui emploient 23 000 personnes dans le monde ; la
fabrication ne représente plus que 2 % de sa valeur mais emploie 600
000 personnes. On n'achète plus le produit en tant que tel mais la
publicité, les stars qui le portent." Grandis a subi la crise et la
perte d'un de ses importants clients, Christian Lacroix, qu'il a
soutenu jusqu'au bout. "On a peu compris à quel point l'industrie joue
un rôle fondamental dans l'aménagement du territoire", ajoute-t-il.
"Notre principal problème, c'est de nous faire payer", se désole
avec franchise Martine Durand, gérante de la TPE gardoise Circé. Comme
de nombreux façonniers, ses gros clients sont partis à l'étranger.
D'abord la maison Chacok en 2006, puis Madame Zaza de Marseille et Coco
Menthe. Mme Durand a dû licencier, mais continue de travailler pour
Cacharel. Avec une nouvelle règle du jeu : le travail n'est donné que si le chèque est là. Propos recueillis par Nicole Vulser - lemonde.fr / economie - A suivre ...